Carte postale du Darfour

Publié le par Raymond Bounaffou

Omar El-béchir, pour un despote islamiste à moustache, était très courtois. Son fastueux palais présidentiel, orné de tapis et d’iconographie tapageuse à la gloire du régime, avait, je le reconnus immédiatement, de la gueule. Par rapport à mon siège de campagne – une chaise plastique de jardin – l’endroit avait absorbé tout le luxe que contenait le pays. Nous le visitions, enfin il me le, plutôt. Mon escapade diplomatique pour mettre fin à la guerre au Darfour démarrait sous les meilleurs auspices. J’admirais les formes concupiscentes des statues d’ivoires, mastiquant un Mentos fraîcheur du plus bel effet. El-Béchir me montra la piscine, où une escouade trempait ses ergourdes sous le regard amusé des prostitués de la faune, des anciennes pucelles enlevées dès leur plus jeune âge à leurs parents pour assouvir les désirs de la cour. Au détour d’un couloir, Omar me présenta une salade de manioc, et je l’accepta : c’était la première fois qu’une homme responsable de plus de 200 000 morts m’offraient quelque chose. L’émotion fut palpable, autant que les naïades.
 
El-Béchir me prenait pour Nicolas Sarkozy. Son service l’avait mal renseigné, il imaginait sans doute nouer, en exhibant ainsi ses parties génitales, des relations diplomatiques avec le futur président français des sondages. Je n’osai avouer la vérité, lui confier que j’étais Raymond Bounaffou, le futur président des Français. Des bancs de poissons disposés en aquarium longeaient les murs et m’escortaient jusqu’à la pièce centrale, conçue pour accueillir les hauts dignitaires étrangers. Il pensait probablement que je parlais arabe, vu qu’il me proposa un siège dans cette langue. Son traducteur décodait en anglais : hélas, je ne parlais pas anglais non plus.
 
Alors que je décortiquais une mouche tsé-tsé cuite à l’étuvée, El-béchir commença à hausser le ton. Je ne bronchai guère, pensant la chose naturelle chez les dictateurs. Il remit le couvert. Apparemment, mes sujets de conversation ne le lui plaisaient pas ! Etrange. N’y avait-il pas de queues interminables, dans les supermarchés soudanais ? Et ces salopes d’imprimantes soudanaises, lui marmonnai-je, fonctionnaient-elles aussi mal qu’en hexagone ? Et la religion ? Quand comptait-il l’abolir, cette vaste fumisterie ? Aïe. J’avais touché un point sensible : il semblait tenir sans son coeur les imprimantes. « Ne vous en faites pas, j’en parlerais à mon premier ministre ! » J’attrapa alors une tranche de salami conservée dans mon imper : « tenez, attrapez ça !», lançai-je dans sa coupole, en guise d’amitié. Il semblait ne pas apprécier le salami non plus, à en juger par l’orbite de son regard. « Kill him ! Kill him ! Kill him ! » psalmodiait-il, pas peu fier d’utiliser ce verbe. J’ignorais ce qu’il entendait par là, ne connaissant que « Yes » ou « No ». « Inogue ? », proposai-je, pour enrichir la conversation. « Ne dites plus rien, monsieur Sarkozy, je vais tâcher d’arranger ça », me dit un subalterne. Ses propos apaisants calmèrent rapidement le président. L’homme – il s’appelait Mohammed, sans once d’originalité - savait y faire pour caresser son maître dans le sens du poil. L’atmosphère avait repris son apesanteur, son calme. Je me suis alors souvenu du but de ma pérégrination : régler le problème au Darfour. Le moment me ressemblait : approprié. « Bon, je vous offre 300, oui, je dis bien 300 euros pour arrêter les crimes au Darfour ! CAPICHE ? », je leur asséna d’un coup de point oratoire rageur. « Sinon, je vous pompe votre pétrole ! », j’avança mon pion. Moment de silence : allaient-ils accéder à ma requête ? L’avaient-ils au moins comprise ? Oui : « Kill him ! Kill Him ! Kill him ! » me traduisit Mohammed, ce brave homme. Ouf ! « Yes. I’m Ok ! Thank », je le remerciai. « Hurry up, j’ai pas que ça à foutre non plus », je précisai à mes futurs signataires de la paix. Après consultation avec son compère, El-béchir se mit au diapason : « Kill Him ! Kill Him ! ». « Yes ! Kill ! », je bondissais de joie, qu’ils se dépêchaient, j’allais louper mon avion de retour ! Un garde arriva, un épais foulard blanc dans la paume de sa main. La feuille du traité ! Enfin ! Mon nom s’incrustait dans le marbre de l’histoire. J’allais sauver le monde.
 
Qu’il tanguait, ce chameau ! Mon bandeau sur le visage, j’ignorais où l’on me transportait, installé sur cet animal. En tout cas, les liens étaient solides, entre lui et moi – presque autant que ceux de mes bras et mes pieds. M’emmenait-on à Camp David, pour y signer l’accord de paix ? Ou à Verdun ? A Waterloo, peut-être ? Que me réservait-il, ce bougre d’El-Béchir ? Près de moi, on blatérait sur l’aridité du temps, la composition du désert, et j’avais hâte d’en être. Le camélidé s’est garé près d’un cactus, à en juger par l’épaisseur des épines plantées dans mon postérieur présidentiable.
 
« Relax », fit l’homme au sabre. M’enlevant ma muselière de vue, il me poussa dans une carriole remplit d’enfants aussi désarticulés que l’engin en bois. Je m’installai sur une place ; les chocs de la locomotive de fortune faisaient voltiger les bambins par-dessus bord, les pauvres, eux qui ne dépassaient pas la livre… Ah, ces végétariens ! Ce village sentait le roussi. La population se vidait, pour les plus chanceux. Le paysage, aussi animé qu’un sketch de Pierre Palmade, agonisait sous mes lunettes doubles foyers et, bientôt, la faim s’empara de mon gosier. Par chance, je substituai un quignon de pain à l’un des enfants, le trempant dans la fondue savoyarde – le pain, pas l’enfant - que j’avais pris soin de conserver dans l’une de mes chaussures – le pain, pas l’enfant. Mes hôtesses de l’air prétoriens étaient d’un naturel relativement enjoué, chantant des chants célébrant sûrement la fin du conflit meurtrier. L’un de leur badge renvoyait l’inscription suivante : « Hicham, sergent-jenjawid ». Bientôt, une grotte tendit ses parois. On mit à terre mes juvéniles compagnons : ils chialaient comme des gosses. Hicham décida de jouer avec eux, en les alignant sur la grotte comme des compétiteurs d’ « 1, 2, 3 Soleil ». Hélas, on ne m’autorisa pas à participer, et, d’un fusil ostentatoire, on m’influença à inaugurer le chemin jusqu’à ses entrailles. Des coups de feux retentirent. Je n’aurais pas du abuser de cette fondue : l’envie de chier m’empoigna au plus profond de mon être. C’était une grotte de style baroque, typique de la région, du moins c’est ce que j’imaginais pour passer le temps et – surtout – penser à autre chose. 10 minutes de marche interminable, sans arrêt, sans pause, sans buisson où se soulager, hélas, hélas. Mes accompagnateurs tentait bien de me divertir l’esprit, par des « Fucking french, you are our prisoner, now », que je ne comprenais pas. J’avais hâte de brandir mon stylo à encre bleu Waterman sur la blanche colombe qui m’attendait à la fin du trajet, bien que mes soucis gastriques restaient prioritaires. Finalement, la marche funèbre s’arrêta près d’une ambassade encastrée dans la pierre, entourée de barreau. « Enfin !, je pleurais de bonheur, enfin !, je répétais, implorant qu’on m’ouvre. Les soldats, interloqués, le firent sans condition. Un verre en plastique, un petit pot en terre, un enclot protégé des incursions ennemies : ah, j’étais heureux, heureux d’être enfin libre, enfin libre, prêt à signer l’accord ! Heureux de chier pour la paix dans le monde, tout simplement. 
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K
Et ben on est pas prêts d'avoir nos souvenirs...
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M
Faut-il ent irer la conclusion numismatement ahurissante que la prochaine tournée mondiale de Kylie Minogue a peu de chance de passer par le Darfour?Les musulmans n'ont décidément toujours pas réglé leur problème avec les petites cochonnes...
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F
Je vois que notre brillant représentant à oublier de fomuler les requetes prononcées par ses militants et adressées aux darfouriens même si ceux ci sont très actifs.<br /> Numismatement.
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N
Je suis déçu, un président se doit de savoir que les grottes de style de baroque ne sont pas typiques de la région mais ont été inspirés par les grottes du Tchad... le Tchad étant dans la région, je m'aperçois que le (futur) président a, comme toujours, raison.Y avait et des toilettes et un ordinateur avec internet dans l'enclos ? Punaise, vous êtes vraiment LE président parce que pour les autres c'est l'un ou autre même si on demande poliment.Daredare, ça fourre !
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L
J'en pleure tellement je me marre :o)
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